Le Capitaine Dreyfus et le Capitaine Dadis : l’histoire se répète -t-elle ?
Les trames de l’histoire de l’humanité reflètent parfois des similarités ; dès fois ces faits se produisent à de grandes distances dans le temps, ou à de grandes distances dans l’espace. Par exemple, il existe plusieurs analogies entre ‘’l’affaire Dreyfus’’, survenu au 19ème siècle, en France— Europe, et le « dossier Dadis », survenu au 21ème siècle, en Guinée—Afrique. Alfred Dreyfus était officier de l’armée française.
Moussa Camara Dadis était officier de l’armée guinéenne. Le premier fut accusé de haute trahison contre l’Etat Français ; et le second est accusé d’avoir commandité les événements du 28 septembre qui ont causé la mort de plusieurs guinéens. En outre, au moment des faits respectifs, les deux personnages portaient le grade de capitaine. Après plusieurs années d’exil, Alfred Dreyfus a été gracié, par manque de preuves établissant sa culpabilité.
Toutefois, à la différence du Capitaine Dreyfus, le sort du capitaine Dadis dépendra de la confirmation ou non de sa responsabilité quant aux charges qui lui sont imputées. Après donc près de douze ans de quasi-exil—sur la commandite de qui on ne sait, Moussa Dadis Camara devra passer devant le tribunal.
Pour mémoire, c’est le 15 octobre 1894 que le capitaine Dreyfus est accusé d’espionnage pour le compte des services secrets allemands. Point particulier, il est juif dans une France alors à relent antiseptique. Son procès est tumultueux et divise la France en deux camps : les Dreyfusards (dont l’écrivain Emile Zola, entre autres), et les antidreyfusards (dont Hubert Joseph Henry—un des plus virulents accusateurs de Dreyfus). Le 22 décembre 1894, Alfred Dreyfus est condamné à l’unanimité des juges à la dégradation et à la déportation à perpétuité pour haute trahison. Il est interné en Guyane-française, sur l’île du Diable.
Toutefois, les dreyfusards, convaincus de son innocence, luttent avec acharnement et persévérance pour que justice lui soit faite. Sous leurs poussées, Alfred Dreyfus est gracié le 19 septembre 1899. Et son innocence est officiellement établie en 1906. Il est alors réhabilité et réintégré dans l’armée française, au grade de commandant. Il faut noter que la victoire des partisans de Dreyfus a permis de réaffirmer et de consolider les valeurs sur lesquelles se fonde la République française. Les forces réactionnaires, partisans d’un régime autoritaire, ont perdu. Les républicains ont fait front pour la défense des Droits de l’Homme.
Pour le cas guinéen, tout commence avec la mort du Général-Président Lansana Conté, le 22 décembre 2009. Dans les jours qui suivent, une junte militaire dénommée ‘’Conseil National pour la Démocratie et le Développement’’ (CNDD) prend le pouvoir. Elle est dirigée par le capitaine Moussa Dadis Camara. Point particulier : cet officier est originaire du Sud-Est de la Guinée.
C’est la première fois, depuis l’indépendance en 1958, qu’un citoyen de cette région sylvestre accède à la magistrature suprême de ce pays. Conséquemment son ascension, si elle est saluée par le grand peuple, créé de sourds ressentiments, particulièrement au sein de la classe politique. En fait, au fur et à mesure que le temps passe, les positionnements des uns et des autres vis-à-vis de ce capitaine « forestier » se révèlent graduellement.
Partant, c’est le 28 septembre 2009, date historique de l’indépendance de la Guinée, que des militants de partis politiques engagent une manifestation contre le Capitaine Dadis, au stade dénommé 28 septembre. Naturellement, dans cette immense foule bigarrée on ne pouvait identifier tous les participants. Il faut souligner que le motif de leur colère serait la ‘’candidature’’ du capitaine aux prochaines présidentielles. En fait, leur colère reposait que sur une allégation, Juridiquement parlant ; car le président du CNDD n’a déposé aucun dossier de candidature devant le ministère de tutelle. Dans la chaleur des slogans et de fustigations, une fusillade éclate. On enregistre de nombreux morts et des cas de viols de femmes. La Guinée et la communauté internationale sont plongées dans une profonde consternation. Les protestataires accusent la junte d’en être le commanditaire.
Par la suite, le 3 décembre 2009, le capitaine Dadis Camara est grièvement blessé par, dit-on, son aide de camp. Il est évacué sur le Maroc ou il séjourne quelques mois. Après son traitement, il est transféré au Burkina Faso, apparemment contre son gré. Il restera dans ce pays pendant plus d’une décennie, presqu’interdit de séjour sur le sol de ses ancêtres. A plusieurs reprises, il demandera—sans succès—qu’il soit jugé par les autorités guinéennes. Ce déni de justice, il faut le souligner, est une violation de l’Article 10 des Droits Universels de l’homme :
Toute personne a droit, en pleine égalité, à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal indépendant et impartial, qui décidera, soit de ses droits et obligations, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle.
Ce n’est qu’à l’avènement du Conseil National pour le Rassemblement et le Développement (CNRD) que le ‘’dossier Dadis’’ est ouvert. Le procès en perspective prend de l’ampleur, au fil du temps ; alors les souvenirs des émotions, fondées ou manipulées, font surface avec une amplitudes. De mémoire nationale, du point de vue battage médiatique ce procès n’est certainement comparable qu’à l’agression portugaise de 1970, qui avait aussi engendré de vastes ondes de choc psychosociales.
En conclusion, l’ouverture du procès du « 28 septembre 2009 », marque l’expression de l’amorce de maturité du leadership Guinéen ; en effet, ce sera la première fois qu’un jugement sera rendu dans les normes et les formes entre des citoyens ordinaires et des citoyens ayant exercé un pouvoir d’Etat. Aussi, ce jugement annonce le début de la pratique de l’Etat de droit qui repose principalement sur l’égalité constitutionnelle de tous, conformément à l’Article 8 des droits universels de l’Homme : « Toute personne a droit à un recours effectif devant les juridictions nationales compétentes contre les actes violant les droits fondamentaux qui lui sont reconnus par la Constitution ou par la loi ». Le jugement de Moussa Dadis Camara augure l’amorce de l’éthique politique et sociale en Guinée ; qui sont deux facettes inaliénables de la gouvernance démocratique.
Ce procès illuminera certaines pénombre de notre histoire, on le souhaite ardemment. Ainsi, la justice sera rendue aux victimes, qui seraient éventuellement dénommées. Dans la même foulée, justice sera aussi rendue aux accusés. Certains purgeraient des peines, si leur culpabilité est établie ; tandis que d’autres, seraient acquittés ou réhabilités si leur innocence est confirmée. L’espoir est permis de croire que le dénouement du ‘’dossier du 28 septembre’’ fermera un épisode de notre histoire qui a écartelé notre tissu social. Le Capitaine Dreyfus et le Capitaine Dadis : l’histoire se répète -t-elle ?
Dr Antoine Akoi sovogui