Deux mois après avoir orchestré une rébellion contre Vladimir Poutine, le patron de la milice Wagner, Evguéni Prigojine est mort, mercredi, dans le crash de son avion privé. Aucun élément d’enquête ne permet d’avoir des certitudes sur cette mort étrange, mais le régime de Poutine ressemble de plus en plus à un conglomérat de bandes criminelles.
Un mort qui marche. C’est ainsi que la mafia sicilienne définit les traîtres, repentis ou non, quand leur sort est déjà scellé, même si l’exécution de la sentence proprement dite est encore à venir. Depuis deux mois, Evgueni Prigojine était un cadavre ambulant. Officiellement libre de se rendre en Biélorussie et en Afrique, libre même de revoir Poutine au Kremlin, mais fondamentalement condamné pour avoir trahi son mentor.
C’est près de Moscou que la parabole de ce personnage sorti d’un roman criminel s’est terminée. Logistiquement, pour préparer l’attentat et recueillir les éléments de preuves au sol, les clans mafieux ne sont jamais aussi à l’aise que sur leur propre territoire. Prigojine avait non seulement osé se retourner contre Poutine, mais il avait tué des militaires et montré, par sa marche interrompue sur Moscou, que les lignes de défense du régime étaient plus vulnérables qu’on ne le pensait.
Qui a matériellement commis l’attentat ? Sur ordre de qui ? Comme de nombreux meurtres de l’époque soviétique ou de la période poutinienne, on ne le saura peut-être jamais. Mais ce que nous disent le parcours et la mort de Prigojine, c’est la nature profondément criminelle du régime russe. Le langage est celui de la pègre. Les méthodes également. Comme dans Le Parrain.
Poutine en sort-il renforcé ? Pour l’instant, oui. Le message aux traîtres potentiels est clair : la main du Kremlin ne tremblera pas. Son pouvoir est-il pour autant plus solide ? C’est moins sûr. L’exécution de Prigojine peut dissuader les élites et les éléments faibles qui attendent que le vent tourne pour éventuellement se ranger au côté d’un successeur potentiel de Poutine. Elle ne change rien à la logique mafieuse du régime, et donc au risque permanent que court le président russe.
Le sort de Wagner
Ce qui est beaucoup plus difficile à prévoir, dans l’immédiat, c’est la pente que va prendre la milice Wagner elle-même, et l’attitude notamment que vont avoir les vétérans de cette milice. Se soumettront-ils ? Se rebelleront-ils en passant à une autre milice non contrôlable ? Trop tôt pour le dire.
Au quartier général de la milice, à Saint-Pétersbourg, les purs et durs de Wagner pleurent leur chef. Le seul selon eux à avoir sauvé l’honneur russe, contrairement à l’armée, contrainte de reculer l’an dernier aux portes de Kiev. Dans un pays où le pouvoir autoritaire a resserré la vis encore un peu plus depuis un an et demi, où le rapport de force est la seule règle, où les milices pullulent et les rivalités aussi, le brouillard est total.
À l’époque soviétique, en raison de l’existence d’un parti structuré, il y avait au moins la Pravda pour faire passer, entre les lignes, des messages entre factions. Dans un État voyou, on ne perd pas de temps à imprimer des journaux. Ce sont les scènes de crime qu’il faut interpréter. Un bon kremlinologue, aujourd’hui, est un criminologue.
Que deviendra Wagner ? C’est la grande question. En juillet, Poutine aurait proposé de l’élever au rang de force combattante régulière en Ukraine. Prigojine aurait refusé. Et en Afrique ? Avec ses méthodes très efficaces, la milice a permis aux apprentis putschistes de prendre le pouvoir dans plusieurs pays (Centre Afrique, Mali, Burkina Faso). Leur parrain, sur ce théâtre d’opérations, avait particulièrement les coudées franches pour négocier son appui militaire en échange des ressources minières. Il n’avait pas de successeur désigné et Poutine ne peut pas compter sur les forces russes régulières pour lui trouver un remplaçant.